C'était mardi dernier, 28 novembre. L'offensive du froid avait commencé et la veille, la pluie nous avait fait craindre que la sortie serait gâchée. Mais ce matin-là, un froid vif et sec régnait dans le quartier et cela tombait bien : 24 enfants de moyenne et grande section de la classe de Valérie à l'école Beslay, avaient rendez-vous avec le génie de la Bastille. Nous sommes partis 28 à pieds sous le ciel bleu, emmitouflés dans nos anoraks, en s'arrêtant régulièrement pour que les enfants devinent ou apprennent l'itinéraire, se repèrent un peu entre la droite et la gauche et ans le quartier.
Au début bien sûr, même en arrivant sur le boulevard Richard-Lenoir, on ne le voyait pas très bien le génie. Alors on s'est approché et comme l'on fait avec l'appareil photo, on a "zoomé".
Comme ça :
Comme ça :
et encore comme ça :
Quand on est enfin arrivés sur la place après avoir croisé beaucoup de nids, on l'a tous vraiment bien observé. On a vu qu'il était perché sur une jambe (la droite), qu'il avait les bras en l'air avec une chaîne brisée d'un côté et un flambeau de l'autre, et qu'il brillait dans le soleil. Du coup, on a tous essayé de se tenir comme lui et on a constaté que ce n'est pas très facile de tenir les bras en l'air et sur une jambe. Les passants riaient de nous voir en déséquilibres.
Quand on a eu fini notre tour de la place de la Bastille, regardé les bateaux sur le port de l'arsenal et posé sur les marches de l'opéra, nous sommes descendus prendre le métro. On a enchaîné sans traîner et avec grand plaisir les 28 rotations du tourniquet et sur le quai, nous avons laissé passer quelques rames, trop occupés que nous étions à contempler les fondations de l'ancienne prison. Parce que les prisons, c'est comme les maisons : elles ont des fondations et les fondations, ce sont des murs enfoncés dans la terre comme les racines d'un arbre. Et c'était plutôt étonnant parce qu'à l'allée, sur le boulevard Richard-Lenoir qui recouvre le Canal Saint-Martin, nous marchions au-dessus des péniches, tandis qu'au retour, dans le métro, nous regardions les pierres d'un mur de l'ancienne prison, au-dessous des voitures et des piétons.
Merci aux enfants de moyenne et grande section de la classe de Valérie à l'école Beslay. Maintenant, il réfléchissent sur le thème de la liberté.
Tout ceci, bientôt, se verra sur les murs du passage Beslay.
Fin d’après-midi dans le passage Beslay. Mardi soir.
L’ombre d’un ailante — ces grands arbres qui rafraîchissent le passage les mois d’été — se dessine délicatement couleur sépia sur le pignon qui ferme au nord la petite placette devant l’école maternelle. Comme un soleil sur un dessin d’enfant, il surligne dans son bord supérieur droit, ce mur que nous venons d’habiller.
Bienvenue dans le Jardin des connaissances !
Flashback.
Lorsqu’en décembre dernier, je présentais aux autres membres du Collectif Passage Beslay, le projet de création du Jardin des connaissances, j’avais découpé la partie piétonne en deux espaces : au nord, l’allée des connaissances ; au sud le Jardin des connaissances. Pourtant, jusqu’à ce mardi soir, je restais sur ma faim : l’allée et le jardin se ressemblaient trop. Je n’avais pas réussi à suffisamment différencier ces deux espaces.
Et puis, le 26 juin, sont arrivées les premières fleurs gigantesques créées par les travailleurs handicapés de l’Esat-Anrh Maurice Pilod avec Marie, leur professeur d’arts-plastiques.
D’abord, elles me désorientèrent par leur taille démesurée, avant de m’éblouir par leur gaité et leur liberté.
Pourtant, j’étais embarrassée. Je craignais de manquer de place, que l’équilibre soit rompu et que les travaux des enfants, plus légers, ne soient étouffés par l’éclat de ces créations. Je comptais toutefois sur un joker : il restait un pignon à peindre au dessus des jardinières du fond, pour lequel nous avions demandé l’autorisation de coller à la copropriété. L'assemblée générale se réunissait le soir même…
Bingo ! Le 27 juin autour de 18h30, alors que nous dressions la table pour accueillir les convives de la soirée Hommage à Jean Zay, Magali m’annonçait que "oui, OK pour tout : le collage tout de suite et une treille l’année prochaine."
Alors, malgré la pluie qui nous a cernés toute la semaine, on a dignement inauguré le Jardin des connaissances : on a rendu hommage à Jean Zay et on a fêté l'été avec Yu Man qui dort désormais à la librairie la Tête ailleurs. On l’a promené de Beslay au jardin partagé Truillot et avec lui, on a continué à créer pour les murs du passage, en dessinant sur des fleurs ou sur la nappe.
On était super motivés ; nous savions qu’on ajouterait un cadeau Bonus avant de partir en vacances: créer quelque chose tout de suite sur le mur du fond, pour que cela ressemble de toute évidence à un jardin peint, pour que ça saute aux yeux dès la rue de la Folie-Méricourt ; pour qu’on ait là, un jardin et là-haut, une allée.
Ainsi, hier et avant-hier, avec Margot et Alexandre R., on a collé les derniers dessins et textes, réparé ce qui avait été saccagé et renforcé ce qui devait l’être. Ce matin, je savoure la fin de ma mission, même si je sais qu'elle ne s'arrêtera pas vraiment avant longtemps. Et je suis comblée : les enfants et les parents sont heureux, les personnes âgées se réjouissent des murs qui changent, on ralentit le pas dans le passage pour lire les murs. Mieux encore, on redécouvre la beauté du passage Beslay. Désormais, au Jardin des connaissances, nos yeux se promènent sur les pierres et l’on remarque enfin les ombres que dessinent les ailantes sur les façades du passage. Ces murs sont des écrans où la lumière danse et quand le soleil rase les toits de la rue de la Folie-Méricourt, c'est un enchantement de feuillage !
La création du Jardin des connaissances est donc terminée. Merci encore une fois à tous ceux qui ont créé les plantes de ce jardin au fil des mois. Et merci aussi aux street artistes qui sont venus enrichir ce jardin : Fred Le Chevallier, Le Bichon, Low et ceux dont j'ignore le nom. C'était un bonheur de vous découvrir comme des fleurs inattendues. Mais qu'on se le dise : c'est maintenant que tout commence. Maintenant que le Jardin des connaissances est né, nous avons la responsabilité d'en prendre soin. Il en va toujours ainsi avec les jardins.
Parce qu’on ne va pas se mentir : le Jardin des connaissances est exposé aussi à des vents mauvais. On y boit, on y fume, on y squatte, on y pisse, on y saccage… Seules les fleurs sauvages ont pu croître, les autres ont été systématiquement pillées ou arrachées. Trois arbres décorés ont dû être réparés ainsi que plusieurs feuilles et des abeilles, un arbre n'a pas pu l'être, etc.
C’est pour cela que le Jardin des connaissances n’est pas une œuvre statique, pour cela que c’est un jardin : nous savons que ses plantes, végétales ou peintes, peuvent périr et devront être remplacées. Nous savons qu’il faudra en prendre soin.
C'est pour faire vivre ce jardin, qu’à la rentrée, nous engagerons de nouveaux projets, notamment pour végétaliser davantage et mieux devant l’école maternelle, et pour continuer de raconter les écoles et le quartier en poétisant les murs du passage.
En attendant, soyons tous vigilants.
Alors si, cet été, quand les écoles seront fermées, vous trouvez dans le passage, des branches d’arbres ou des feuilles décorées par les enfants qui auraient été arrachées, merci de les déposer à La Bel Recup’, juste en face du passage dans la rue de la Folie Méricourt, ou à la librairie La Tête ailleurs (42 rue de la Folie Méricourt).
Quand on récupère les morceaux, souvent, on peut réparer. A défaut, c'est plus compliqué.
Surtout merci à tous. Vous tous, mes chers voisins et désormais compagnons de jardinage, amis de cœur (de la fleur). Merci d'avoir rendu possible cette création collective qui révolutionne — je crois pour longtemps — mon approche artistique. Vous n'avez pas idée de l'immense bonheur qui m'étreint quand je pense à ce que nous avons créé ensemble : du lien social, la fierté des écoles, des enfants et de leurs parents… Surtout, il me semble qu'en créant ce jardin, par le truchement imprévisible de l'art, un quartier tout entier, avec les écoles et l'implication de multiples acteurs généreux et soucieux de vivre ensemble, a repris possession d'un bout d'espace publique. C'est juste énorme ! Ah Socrate tu as tord ! L'art est excessivement utile. C'est le poète qui a raison : "Dans nos ténèbres, il n'y a pas une place pour la beauté. Toute la place est pour la beauté. (René Char)". Bienvenue au Jardin des connaissances.
Quelle semaine dans notre petite portion du quartier Popincourt ! Elle a démarré sur les chapeaux de roues avec un rendez-vous dès le lundi matin pour organiser les prochaines semaines de collaboration avec les travailleurs handicapés de l'Esat. Dans la foulée, il a fallu récupérer les silhouettes en bois découpé : à l'aide d'un diable, je descendais donc deux fois la rue Popincourt et la remontais chargée d'arbres et de feuilles que les passants suivaient d'un regard intrigué. En parallèle, on créait, on imprimait et on diffusait les flyers et les affiches pour le premier Feuilleton du Jardin des connaissances. Dans le même temps, on organisait un pique-nique pour la fin de semaine dans le jardin partagé Truillot avec une classe de l'école Le Petit d'homme. A cette occasion, nous devions ouvrir le premier atelier dessin du Jardin des connaissances et j'avais encore un peu de pain sur la planche. Mercredi, nous nous sommes mis à l'ouvrage dans le passage. Au matin, nous nous sommes retrouvés avec les travailleurs de l'Esat. Accompagnés par leur éducatrice Suzon, ils étaient quatre, entabliés et gantés, ponçant à qui mieux mieux les jardinières du fond. Il y avait là :
Initialement, nous avions prévu de peindre les bacs la semaine suivante avec les enfants ; mais, sortis l'après-midi pour quelques collages, ces derniers n'ont pas résisté en découvrant que les jardinières étaient prêtes à peindre. Ainsi, pendant que l'on collait sur les murs les prénoms de ceux qui avaient préparé le travail le matin, un petit groupe est retourné dans l'école, a pris quelques pots d'acrylique et en une demie-heure de petites mains armées de pinceaux et de rouleaux, l'affaire était pliée : vert, jaune, bleu, comme pour les bacs au sud du passage, ceux-là même où nous venions de planter les fleurs des quatre saisons créées par les enfants de la maternelle.
Dans le même temps, avec les plus grands, nous nous sommes occupés des façades des écoles, en commençant par celle de l'école Pihet. Au nord, dans l'Allée des connaissances, nous avons poursuivi le mur des Droits de l'homme sur lequel fleurissent également, en un subtil mélange, les fleurs mathématicées. C'est qu'ici on se plaît à écouter le savoureux Rabelais : "Science sans conscience n'est que ruine de l'âme".
Puis, côté Jardin des connaissances, j'ai lu aux enfants un poème du massif de fleurs versificacées qui avait poussé là : le massif Desnos et ses cinq fleurs-poèmes. J'avais choisi Les Hiboux et me suis amusée de voir les sourires grandir sur le visage des enfants à mesure que je répétais le son "hou" à chaque vers. Quand j'eus fini, l'un des garçons s'est exclamé : "moi j'aime trop celui de la foumi !". Alors comme ça, spontanément et en chœur, ils se sont mis à réciter "Une fourmi de 18 mètres avec un chapeau sur la tête…" Certains, ceux qui savaient bien lire, s'aidaient discrètement de la versificacée contenant ce poème comme d'une antisèche et tous étaient ravis. Les adultes tout autant : les enfants aiment la poésie ? Et bien qu'ils s'en gavent dans le Jardin des connaissances !!!!
Un peu plus bas, sur le mur d'en face, celui de l'école maternelle avec ses petits carreaux noirs et gris piqués de rose pâle, une hirondelle rustique est venue voler au-dessus des poissons-poètes. A dire vrai, on croirait qu'elle plonge rejoindre son poisson-poète…
Au soir, bien sûr, nous sommes rentrés fourbus. Mais jeudi, je m'armais de bombes colorées. "C'était Paris sous les bombes" dans mon atelier où les silhouettes en bois s'entassaient un peu partout. Ici les arbres, ici les feuilles de chêne, de peuplier, d'érable, etc., là les abeilles. … Vendredi matin, à 11h30, l'atelier dessin du Jardin des connaissances était prêt à accueillir ses premiers créatifs : des enfants de CM1-CM2 de l'école du Petit-d'homme qui, depuis deux ans, travaillent sur l'arbre et auxquels j'allais demander de nous aider à créer notre jardin peint.
Ce fut un immense moment d'échange et de partage avec les enfants et ceux qui squattent ici, et notamment avec Raphaël, origamiste, qui avait accroché ses oiseaux et ses poissons multicolores à la treille fabriquée par Demba et les autres habitants du jardin. L'après-midi, Raphaël allait passer du temps — dans le square puis en classe après que l'orage nous ait chassés — à apprendre aux enfants à créer leur propre origami. En fin de journée, dans l'école du Petit d'homme, plein de petits poissons colorés étaient nés. J'espère qu'ils rencontreront bientôt les poissons-poètes du Jardin des connaissances.
Dans l'atelier dessin, on ne chômait pas non plus et, à la fin du jeu, j'emportais dans mon panier de bien belles feuilles de bois pour les murs du passage Beslay. Je n'eus qu'un seul regret : que la pluie soit arrivée avant que d'autres travailleurs de l'Esat aient pu peindre leurs feuilles et ajouter leur signature à cette œuvre plurielle qu'est le Jardin des connaissances. Qu'à cela ne tienne. Il nous en reste plein et il nous reste trois semaines !
Quand nous aurons tout peint, nous fixerons aux murs nos silhouettes d'arbres et de feuilles et nos petites abeilles. A la mi-juin, sans doute. Aujourd'hui d'ailleurs, les instituteurs de l'école maternelle sont entrés dans la danse : avec leurs classes, il peindront sept arbres et des dizaines de feuilles, quelques abeilles aussi, pour raconter au quartier comme on apprend en classe. En attendant, samedi matin, le passage s'est animé de dames enchapeautées : pour ce premier Feuilleton du Jardin des connaissances, les comédiennes Veronika Ovchinnikova et Anne Brissier sont venues raconter les premiers chapitres de Tistou les pouces verts de Maurice Druon dans le bas du passage.Plus de vingt minots étaient venus accompagnés de leurs parents pour écouter les quatre premiers chapitres. Après l'histoire, ils ont peint tous ensemble des feuilles et des fleurs de papier pour les murs du passage. On vous les montrera au prochain épisode qui aura lieu samedi, dans le passage Beslay (ou à la Librairie la Tête ailleurs, s'il pleut). A bientôt.